Ce 31 mars, il tire sa révérence, dans l’année de sa soixantaine. Claude Gérin fait incontestablement partie des personnages de SERVIOR, dont il a contribué à asseoir la philosophie autant que la réputation. En quittant la maison Op der Léier, à Esch-sur-Alzette, il tourne la page de plusieurs décennies pendant lesquelles il a forgé l’âme de la résidence, en bon chargé de direction. Sa complice Finny Cazzaro (102 ans), modiste et romancière, la plus célèbre habitante des lieux, a fermé les yeux pour toujours en février de cette année. Ils s’étaient promis de se côtoyer le plus longtemps possible. Elle partie, le moment est sans doute bien choisi pour plier bagage.
« Les deux années de crise du Covid-19 ont certainement influencé mon choix, reconnaît Claude Gérin. C’était une période difficile ; je n’ai jamais autant senti le poids des responsabilités que pendant cette crise. Sans cela, oui, je serais peut-être resté plus longtemps. Mais je laisse une maison qui fonctionne bien, et c’est un point essentiel. Mon regret, c’est que le Covid soit toujours là, et que mes adieux soient contrariés. Pourrai-je saluer tout le monde, le personnel et chacun des 165 résidents ? Je ne le sais même pas… » L’homme, qui a élu domicile à Esch depuis longtemps, aura loisir d’animer le nouveau comité de quartier dont il est secrétaire.
Le boy-scout infirmier
Natif de Bonnevoie, au sud de Luxembourg, impliqué dans les mouvements de jeunesse, Claude Gérin a toujours gardé un esprit de boy-scout. Extraverti et altruiste, il se dirige presque naturellement vers le métier d’infirmier, et travaille deux ans en chirurgie au Centre hospitalier de Luxembourg… où son épouse officie aujourd’hui : le monde est petit ; le Luxembourg encore plus. Et c’est dans les années 80 que le ministère de la Famille décide de réorganiser le petit monde des maisons de repos, et engage des cadres infirmiers pour accompagner la démarche. « Fondamentalement, je me destinais à soigner des malades, qu’ils soient jeunes ou âgés. Un ami m’a dit que l’État recrutait. Surtout, c’était dans une optique dynamique : on pouvait créer ! Ils m’ont embauché, j’ai fait le tour des maisons. Pour aboutir à Rumelange, où la responsable était une sœur, et où il n’y avait qu’une aide-soignante. Les pansements étaient recyclés, et les patients souffrant de déficit cognitif étaient placés dans des sièges profonds et distraits par les chocolats de la directrice. Une époque incroyable ! Dans la même maison, aujourd’hui, on compte une cinquantaine de soignants. »
Pour un encadrement professionnel, dans la dignité
« Le tournant pour les maisons de repos, c’est vraiment le Programme national pour personnes âgées que Jules Thyes a mis en place dans les années 90, auquel j’ai donc participé. Nous avons élaboré un programme ambitieux de prise en charge. Nous n’avions pas de contraintes ; nous avons organisé l’encadrement des dépendants psychiques en nous inspirant de ce qui se faisait partout en Europe. Nous représentions neuf maisons ; notre programme a rayonné sur tout le secteur. Une double obsession nous animait : comment garder les pensionnaires actifs et comment leur assurer des soins dans la plus grande dignité ?
Après deux ans passés à Stuttgart et un diplôme d’infirmier gradué, Claude Gérin dirige d’abord l’ancienne CIPA de Dudelange, avant d’aboutir à Esch-sur-Alzette, où un incendie dramatique a ravagé le centre Op der Léier. Il travaille à la reconstruction et à l’édification d’une nouvelle aile, mais surtout à l’élaboration d’un concept moderne de prise en charge. En 1998, la maison rouvre progressivement, et le sort de Claude Gérin se lie définitivement à cet établissement situé au cœur d’Esch, habité par une population qui sent bon le Sud, la Minett et ses traditions, venue de la Métropole du Fer, de Mondercange, de Schifflange… « J’y ai toujours insisté sur la dignité, la pertinence des techniques de soin, et l’application des règles d’hygiène», explique Claude Gérin. Le métier se professionnalise alors. « Avec aussi une réflexion globale sur la personne : qui est-elle, d’où vient-elle, qu’a-t-elle vécu avant de se retrouver avec nous. Avait-elle l’habitude, par exemple, de passer ses vacances à la Côte belge ? Nous avons commencé à y faire des excursions. Nous nous sommes ouverts sur l’extérieur, sur les associations. Notre maison d’Esch est réellement intégrée dans la ville. J’ai encore le cœur serré quand je me souviens d’un concert de l’Harmonie des mineurs, qui est un peu notre fanfare officielle, où j’ai vu se lever tout le monde, même les malades, lors de l’hymne final d’hommage aux mineurs. Dans cette région, ils ont tous eu des parents dans les mines, et ils y ont tous perdu au moins un membre de leur famille.»
Quand le groupe SERVIOR, qui intègre Op der Léier, est créé en 2000, les exigences de la qualité d’établissement public poussent encore plus loin les réflexions sur la prise en charge. « J’ai beaucoup travaillé sur le concept de qualité E-Qalin, que j’ai longtemps suivi pour SERVIOR », raconte Claude Gérin.
Un homme à tout faire, branché sur l’humain
Extraverti et disponible, le futur pensionné peine à définir précisément la fonction de chargé de direction, tant elle est plurielle : « Je suis hôtelier, soignant, chef du personnel… En tant qu’infirmier, je vois beaucoup de choses liées à la santé du patient, et je peux déceler une situation critique. Je suis aussi ambassadeur avec les familles. La plupart sont très compréhensives et entendent nos contraintes ; pendant le Covid, tout s’est même fort bien passé, alors que nous vivions des situations émouvantes. Je gère une maison dans laquelle vivent des êtres humains. Je sais qu’il y a une infrastructure, un budget, des contingences administratives… dans lesquelles je n’excellais sans doute pas. Moi, je gère l’humain, qui habite ici, qui y travaille, ou qui y vient en visite. »
« Je me suis, surtout, toujours attaché à ce que chaque résident ait, dans nos murs, un projet de vie. Un jour, Finny Cazzaro m’a dit que si elle n’était pas venue chez nous, elle n’aurait jamais confectionné ses derniers chapeaux ni écrit ses livres. Quelle femme ! J’en ai été profondément ému, et conforté dans ma démarche. Je fais le tour de tout le complexe au moins une fois par jour, et j’essaie de croiser tout le monde. Je m’assure que la technique de nos métiers, de soins notamment, ne prime pas par rapport au confort des résidents. Notre philosophie, c’est bien d’être à l’écoute de nos hôtes, et de les soigner selon leurs besoins, en dignité. Par bonheur, j’ai pu compter sur des membres de mon équipe qui n’hésitaient pas à me dire quand j’étais dans l’erreur. C’est un atout important.»
Surmonter la crise du Covid
La crise du Covid-19 restera comme la période la plus compliquée de sa vie professionnelle. « On n’avait jamais vécu quelque chose de semblable. Il a fallu gérer cette pandémie, et je pense que j’ai toujours trouvé un chemin dans les situations difficiles. Mais quand un cluster est détecté, et qu’ensuite des personnes décèdent, on ne peut pas s’empêcher de se demander si on a tout fait pour éviter cela. J’avoue que la crise a beaucoup pesé sur mon moral, et que je la ramenais avec moi à la maison… Pour tenir, j’ai beaucoup couru, marché, fait du vélo…»
Le jeune retraité ne quittera pas vraiment la scène : séduit par le théâtre de boulevard, il a bien l’intention de monter souvent sur les planches. À Mondercange, à Strassen… et à la résidence Op der Léier. Mais c’est peut-être plus distraitement qu’il suivra l’évolution du secteur du grand âge… à moins qu’il ait à séjourner, plus tard, dans une de nos maisons. « Dans ce cas, il me faut un balcon ! C’est quelque chose de capital, cet espace privé. Même si on n’y va pas, le simple fait de se dire qu’on pourrait sortir s’y asseoir constitue un facteur de bien-être. Et qu’il y ait des animaux ! On doit faire revenir dans nos maisons de repos un maximum de chiens d’accompagnement. Mais aussi des animaux domestiques pour les pensionnaires. »
Pour un hébergement des seniors encore plus personnalisé
« Ma vision de l’évolution de l’hébergement des personnes âgées met plutôt en avant les petites structures, des communautés de vie plus intimes. Il vaut mieux miser sur des petits projets, intergénérationnels, où l’individu est mieux respecté. Surtout, dans chacun de ces lieux, il faut développer une âme… et ce n’est pas simple. On l’a fait à Esch-sur-Alzette. Si on fait abstraction des restrictions Covid, bien sûr, notre maison est un endroit où on est toujours le bienvenu. C’est un centre de vie, où on s’efforce que les gens soient heureux, où on organise des réunions de famille, où il y a de l’ambiance, des repas, de la musique. Une maison de retraite ne peut avoir une âme que si on y ramène des gens de l’extérieur. »